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70 ans déjà…

A l’heure à laquelle ces quelques lignes ont été rédigées, le vendredi 30 avril 2021, il y a 70 ans, jour pour jour, qu’était adoptée la « loi sur les baux commerciaux en vue de la protection du fonds de commerce », directement insérée dans le Code civil et plus particulièrement dans ce qui fait l’objet de la section IIbis du chapitre II du Titre VIII de son 3ème Livre.

Bien d’autres législations, ravagées par les effets du temps, n’auront duré que quelques étés.

Certes, cette législation a évolué, parfois en raison de l’intervention du législateur lui-même, plus souvent au fil de multiples jugements ou arrêts de principe dont elle fut le cadre.

Parmi ceux-ci, un récent arrêt de la Cour constitutionnelle (C.const., 28 mai 2020, rôle n° 77/2020) dont la présentation constituera notre hommage à une loi qui ne prend guère de rides.

Tout d’abord, quelques mots pour planter le décor.

Rien n’interdit à un bailleur de vendre le bien loué en cours de bail, mais quel est l’impact de cette vente sur le bail en cours ?

Dérogeant au droit commun général des obligations qui, s’il était appliqué en ce cas, donnerait la priorité à l’acquéreur, qui se voit transmettre un droit réel de propriété opposable à tous alors que le locataire n’est titulaire que d’un droit personnel opposable à son cocontractant, le bailleur-vendeur, l’article 1743, en tant que disposition générale relative aux baux des biens immeubles, crée un régime particulier protégeant le locataire disposant d’un bail ayant date certaine.

Ce vestige du Code civil napoléonien, abrogé ou ayant « cessé d’être applicable » en Région wallonne ou en Région de Bruxelles-Capitale lorsque le bail est un bail d’habitation, reste applicable dans le domaine des baux commerciaux, moyennant certains accommodements apportés par la loi du 30 avril 1951.

Ainsi, l’article 12 des dispositions du Code civil relatives aux baux commerciaux a considérablement étendu la protection du locataire commercial, échappant à l’expulsion immédiate quand bien même son bail n’aurait pas date certaine, mais pour autant qu’il occupe les lieux depuis 6 mois au moins, et quand bien même le bail réserverait à l’acquéreur une faculté d’expulsion en cas d’aliénation.

Dans l’arsenal législatif, cet article 12, qui limite à certaines hypothèses et encadre d’un délai strict le droit de l’acquéreur de donner congé et lui impose d’accorder au preneur un préavis d’un an, est complété par l’article 26 de la loi qui permet au preneur « expulsé » conformément aux conditions de l’article 12 de bénéficier d’une indemnité d’éviction « dans les cas et suivants les modalités prévues aux articles 25 et 27 ».

L’on remarquera immédiatement que cet article 26 de la loi, s’il fait référence à l’article 25, relatif aux divers montants des indemnités d’éviction à accorder, selon les cas, au preneur qui s’est vu refuser le renouvellement de son bail, et à l’article 27 qui attribue au preneur sortant un droit de rétention renforcé, ne fait pas expressément référence à l’article 28 de la loi, imposant aux actions en paiement de l’indemnité d’éviction un délai préfix (dont l’expiration entraîne la forclusion du droit lui-même) d’un an à dater du fait donnant ouverture à l’action.
L’indemnité d’éviction qui, par application des articles 12 et 26 de la loi, serait due au preneur par l’acquéreur d’un bien loué à titre commercial doit-elle dès lors se voir appliquer le régime du délai préfix spécifiquement prévu par la loi sur les baux commerciaux ou le régime de prescription, décennale en ce cas, applicable aux indemnité dues en vertu du droit commun.

C’est à cette question que, saisie d’une question préjudicielle par le juge de paix du 2ème canton d’Anvers, la Cour constitutionnelle a indirectement, certes, en raison des particularités de sa saisine, mais clairement répondu.

La Cour s’est tout d’abord attachée à retracer l’intention affichée par le législateur au cours des travaux préparatoires de la loi de 1951.
Rappelant que, dans un cadre général d’équilibre, le souci du législateur était d’attacher un délai déterminé à l’introduction d’une action en paiement d’une indemnité d’éviction afin d’éviter au bailleur une longue incertitude concernant les actions intentées contre lui et de permettre de résoudre rapidement les litiges en matière commerciale, la Cour considère qu’interprété en prenant pour postulat qu’il ne s’appliquerait que dans l’hypothèse d’un refus de renouvellement et non dans celle d’une expulsion effectuée conformément à l’article 12, l’article 28 créerait une différence de traitement non pertinente au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, le bailleur acquéreur ayant à ce point de vue les mêmes intérêts que le bailleur refusant une demande de renouvellement.

En cela donc l’article 28 violerait les articles 10 et 11 de la Constitution.

Mais la Cour poursuit son raisonnement en indiquant que l’article 28 est susceptible d’une autre interprétation dès lors qu’il ne distingue pas les actions en paiement de l’indemnité d’éviction selon qu’elles résultent d’un refus de renouvellement du bail par le bailleur ou d’une résiliation anticipée du contrat par l’acquéreur.

Et dans l’interprétation selon laquelle le délai d’un an qu’il vise s’applique à toutes les actions en paiement d’une indemnité d’éviction, l’article 28 de la loi sur les baux commerciaux ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

De manière à leur être conforme, c’est ainsi qu’il convient d’interpréter ledit article 28 et le preneur est donc astreint au respect d’un délai préfix d’un an quand bien même son occupation prendrait-elle fin à la suite d’une résiliation fondée sur l’article 12.